critique à travers l’exemple de l’éphémère musical
admin | 23 mars 2008 | 13:45Nous allons étudier les paroles de la chanson “Nouveau Français”, écrites
par (ou pour qui sait, mais nous pourrions espérer au regard de la
complexité syntaxique que la “chanteuse” l’eût écrit elle-même) Amel
Bent, diffusée à l’été 2007 sur les différents supports médiatiques.
Issu du prochain album “À 20ans”, ce titre évoque un patriotisme acerbe
et dénote une volonté farouche de s’intégrer au sein de la France de
cette jeune femme, remarquée à l’occasion de la très culturelle et ô
combien regardée “Nouvelle star” de l’édition 2004, au demeurant gagné
par un pauvre énergumène comparé le temps de l’émission à l’illustre Kurt
Cobain, avant d’être bien vite retombé dans un amer oubli. Nous nous
proposons de suivre le texte afin d’en faire l’étude. Dans un premier
temps, nous nous attacherons à la volonté de l’auteur de combattre les
préjugés de la société française, puis au besoin de rédemption de la
chanteuse, avant de conclure par la nécessité du devoir de mémoire.
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Le texte :
Casé dans des cases
Fiché sur des fiches
Aux discours de bases
Et frond sur la fiche
Même si y’en a marre
sans juger personne
Y’a qu’a seulement voir les clichés qu’on donne
Mais qui fait des histoires vraiment dans ce pays
Moi je viens bien de quelque part mais je suis ici
Nouveau français
Un français nouveau
Nouveau français
Sous le même drapeau
Sans même un besoin de reconnaissance
Mais ni plus ni moins qu’un enfant de la France, de la France
Gêné par les gênes
Miné par la mine
Les casseroles qu’ont trainent
C’est le coeur qui souligne
On a la chance d’être là
Faut pas qu’on oublie
Je viens bien d’un endroit
Mais je suis d’ici
Mais qui fait des histoires vraiment dans ce pays
je viens bien de quelque part mais je suis ici
Nouveau français
Un français nouveau
Nouveau français
Sous le même drapeau
Sans même un besoin de reconnaissance
Mais ni plus ni moins qu’un enfant de la France
**********
Nous allons voir, en cette première partie, comment l’auteur parvient à
la fois à faire passer un message de révolte envers la classification
des individus, l’intolérance, et marque une volonté de s’intégrer à La
France.
Nous pouvons observer que l’auteur dénonce la répartition des individus
en classes, en groupes hermétiques : en effet, il utilise une métaphore
aux deux premières lignes, avec à chaque fois une réutilisation de la
première syllabe d’un participe qu’il utilise pour le nom des termes
cases et fiches”. Cet emploi répété permet à l’auteur d’insister le plus
lourdement possible, afin que le texte respire la légèreté et la finesse,
ce dès les premières paroles. L’image de classification métaphorique se
retrouve également par l’expression “frond sur la fiche”, qui rappelle
vaguement le terme “affront” défiguré volontairement dans un effet de
style du plus bel acabit, ou encore faisant référence à la Fronde,
révolte historique du temps de louis XIV, bien qu’une telle référence
historique fût sûrement à écarter.Également sûrement fort bien placée
pour se placer en porte-parole de la France toute entière du haut de
la maturité transcendante de sa vingtaine d’années, mademoiselle Bent
juge assez sévèrement, “de base”, les discours portés probablement par
les hommes politiques qui apparemment seraient la source de ce mal-être,
car ayant un avis tellement moins pertinent que sa personne.
Enfin l’auteur parvient au prix de douloureux efforts, dans un langage
très familier, comme elle peut, c’est-à-dire malgré elle, à exprimer sa
complainte, à la formuler pour que les français parviennent à comprendre
les balbutiements des premières phrases comme une exaspération du jugement
hypocrite des gens selon “les clichés qu’on nous donne”, car ce dernier
justement est transparent, “sans juger personne”, mais provoque en l’auteur
une haine farouche, en effet “y’en a marre”.
Nous allons voir dans cette deuxième partie la volonté de rédemption de
l’auteur. Cette rédemption se fait par le renouveau du citoyen français,
une réunion sous de mêmes symboles, et enfin une aspiration à la
naturalisation à tout prix.L’auteur veut voir renaître le français, un
peu à la manière de Staline qui voulait “forger un Homme nouveau”, bien
que le pouvoir, la crédibilité, et la notoriété séparent les deux
individus. Démontrant une fois de plus ses talents de compositeur, l’auteur
procède à une inversion de la première expression “un nouveau français” à
la seconde ligne, afin ici encore que le message ait une force particulière,
et que ce message soit quasiment le maître mot de cette oeuvre musicale.
Aussi, l’auteur exprime son besoin que la forge récente de ce nouveau
français soit symbolisée par des valeurs fortes telles que le drapeau
français. L’auteur entend unir tous les français, qu’ils soient nouveaux ou
anciens (ce qui est une discrimination en soi donc une ineptie au niveau du
sens de la chanson et de la cohérence du message) sous le symbole du drapeau.
Enfin, l’auteur, en répétant la proposition de lieu, ou plutôt devrions-nous
dire d’origine, “de la France”, marque le besoin dès l’enfance, “un enfant”,
d’être assimilé au peuple français et d’éviter donc à tout prix les
classifications et les étiquettes sociales donc de jugement.
Enfin dans cette ultime partie nous allons voir la souffrance du nouveau
français, puis enfin le devoir de reconnaissance de ce dernier envers sa
nouvelle patrie.L’auteur reprend les mêmes procédés qu’aux deux
premières phrases pour exprimer toute sa souffrance, sa complainte, en
faisant appel au champ lexical de la guerre, “mines” , du desespoir par
jeu de mot, “miné”, emploie un vocabulaire généraliste biologique flou
et ayant un rapport incertain avec le message final, “gênes”, et se sert
du même jeu de mot pour former un participe passé à partir d’un nom.
Cependant la comparaison est hasardeuse, et nous avons plus l’impression
que l’auteur s’est majoritairement concentré sur l’expression du malaise
par les participes passés et sur la coïncidence syllabique amusante pour
le public (dénotant une finesse créatrice inconcevable) que sur le sens
de ces images.Puis l’auteur souligne les blessures des affres de la vie
par la comparaison remarquable avec un instrument de cuisine,
“casserole”, ou d’autre part nous sommes amenés à supposer que,
inconsciemment, l’auteur faisait ici une métaphore de ses vocalises.
L’auteur constate avec amertume que les problèmes sont pluriels,
“les casseroles”, et que leur bruit métaphorique, c’est-à-dire la
douleur qu’elles infligent, est longue et pénible, on ne peut s’en
passer facilement, emploi du terme familier “traîner”.Enfin l’auteur
continue dans ses métaphores polysémiques douteuses entre le coeur et
une notion censée représenter la souffrance qu’est le verbe “souligner”.
Nous pouvons être amenés à s’interroger sur la teneur de ce coeur, sur
le caractère positif ou négatif. Le doute existe car les dernières
phrases poussent à un devoir de reconnaissance par un vocabulaire
toujours aussi soutenu, “on a la chance”, de mémoire dans un style
là aussi très personnel et d’une force profonde puissante, quasi
mystique, “faut pas qu’on oublie”. L’auteur termine cette reconnaissance
en améliorant quelque peu le sort de cette France qui les refuse, car
même si l’auteur est “bien d’un endroit”, et que ses racines sont très
importantes à ses yeux, désormais, ce complément de temps s’oppose à
l’adverbe “ici”, et la chanteuse se sent donc bien française.
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Ainsi dans ce texte la jeune chanteuse dresse un portrait peu châtoyant
de l’intégration de jeunes étrangers en France, le manque de respect,
de tolérance envers ces couches hermétiques, en dénonçant une certaine
ghettoïsation. Elle entend réformer cela en formant un homme nouveau,
qui s’associerait cependant à l’homme ancien (en faute car n’acceptant
pas ce formidable homme nouveau multiculturel) sous des symboles
essentiels de la république. Enfin, l’auteur souligne que les blessures
endurées au quotidien par ces intolérances et la mise en place
d’”étiquettes sociales” sont des maux terribles, des plaies ouvertes
qui ne se referment pas facilement, et une vie employée à en guérir
n’est pas de trop. En ce début de XXIème siècle, à l’aube d’une
nouvelle génération musicale marquée par le R’n'B et la pop, Amel Bent
croise les fils désespérants de ‘absurde, et véhicule une violente
critique démagogique contre un système contre lequel elle ne peut rien,
et dont elle est la plus fidèle victime, héritière des dérives de la
mode musicale consumériste et éphémère…
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